Xavier Hommaire de Hell
|Il y a 200 ans naissait à Altkirch Xavier Hommaire de Hell (24 novembre 1812). Mais qui était donc ce Xavier dont une rue porte son nom dans la capitale du Sundgau ?
Dans notre siècle si pressé d’agir et si avide de nouveauté, où les préoccupations du lendemain tuent les souvenirs de la veille, il est utile, peut-être, de raviver la mémoire de cet ingénieur, géologue et géographe, excusez du peu !
Fils unique, de constitution délicate, il fait ses premières études au collège d’Altkirch, puis au collège royal de Dijon. Sorti de l’école des mineurs de Saint-Etienne avec son diplôme d’ingénieur civil, pressent-il déjà son destin plein d’éclat et de périls ?
En 1834, il épouse Adèle Hériot qui, bien qu’âgée seulement de 16 ans, comprend son esprit aventurier et son désir de voyager en Orient.
En 1835, il entre au service du gouvernement ottoman et concevra des projets d’arts comme le pont suspendu à Constantinople et le phare sur la Mer Noire. Hélas, Namik pacha, l’homme de progrès qui avait conçu l’idée d’associer le jeune français à l’exécution de son vaste plan de travaux publics, tombe en disgrâce et sa chute entraîne l’abandon des projets à l’étude.
En 1838, Xavier Hommaire se lance dans un voyage d’exploration de la Crimée et du Caucase. Ayant découvert une mine de fer sur les bords du Dniepr en 1839, il est décoré de l’Ordre de Saint-Vladimir et anobli par l’empereur Nicolas 1er de Russie. Xavier Hommaire décide alors d’ajouter à son nom une particule suivie du nom de jeune fille de sa mère et devient : Xavier Hommaire de Hell.
En 1841, il est chargé par le prince régnant de Moldavie de l’exploitation des mines et des voies de communication. Malade, il est contraint cependant de revenir en France.
Il profite pour publier en 1843 un ouvrage de géographie tiré de ses notes de voyage. Les renseignements contenus dans cette publication seront salués pour leur valeur scientifique et serviront, 10 ans plus tard, à l’armée française lors de la Guerre de Crimée.
En 1846, le gouvernement français l’envoie en mission scientifique autour des mers d’Asie mineure et en Perse. En passant par l’Italie, la Moldavie, l’Anatolie, le Kurdistan et la Mésopotamie, il arrive en Perse en novembre 1847. Pendant son séjour à Ispahan, il est terrassé par la fièvre et meurt le 29 août 1848, à l’âge de 36 ans.
La biographie et les œuvres de cet homme érudit, intrépide voyageur, que nous venons de résumer, très succinctement, expliquent très peu le côté personnel et intime de cet homme qui mérite d’être plus connu.
Quelques extraits de ses carnets de notes et de lettres à sa femme vous révèleront bien mieux toute la richesse et l’humanité de cet homme.
Revenons à son premier voyage. En 1835, il s’embarque sur un navire en partance de Constantinople, laissant sa femme qui attendait son premier enfant. Après quelques jours en mer, près de Malte, ses ennuis commencent :
« Le 11 septembre au matin, nous fûmes en vue de l’Ile de Malte et huit jours après, avec le même vent, nous pouvions être à Constantinople. Quel bonheur ! me disais-je, bientôt je pourrai écrire à ma bien-aimée. Mais vers les 4 heures, une voie d’eau se forma et nous avions trois pieds d’eau dans le navire. On fit marcher les deux pompes toute la nuit. Le vent qui, jusqu’alors avait été frais, devint tout à coup très violent et la mer très grosse. […] Le lendemain, l’équipage entier était occupé à pomper l’eau. Les voiles frappaient contre les mâts avec un bruit épouvantable. Avec cela, à la nuit, les hommes horriblement fatigués murmurèrent et menacèrent de cesser leur travail. »
Pauvre Xavier ! Le voilà prêt à aller en Turquie pour se mettre au service du gouvernement ottoman afin de concevoir des projets d’ouvrages d’art, et il manque d’être victime d’une mutinerie ou tout simplement de se noyer.
Une lueur d’espoir envahit l’équipage lorsqu’ils arrivent près de l’île grecque Céphalonie. Malheureusement, les habitants leur refusent l’entrée du port, prétextant que le bateau venait d’un pays infesté par le choléra. Ils sont donc obligés de continuer leur route. Mais les ennuis continuent. Écoutons Xavier Hommaire :
« Le vent devint tout à coup contraire. Pluie, tonnerre, rien ne manquait pour ajouter à l’horreur de notre position. Les voiles se déchiraient, un mât venait d’être renversé par la force du vent et l’eau, augmentant toujours, empêchait de gouverner le navire. Ne sachant plus que faire, et, sur le point de voir le bâtiment englouti, nous laissons le vent pousser le bâtiment sur la côte de Céphalonie opposée à celle où nous devions aller. Alors la mort me paraissait presque certaine. Néanmoins, je pris tous mes papiers les plus précieux et mes plans et je m’apprêtai à saisir quelque planche pour me sauver. Mais le navire ayant échoué sur les rochers, on mit promptement la chaloupe en mer. Il était temps, quelques instants après le navire fut entièrement envahi par l’eau et il se renversa sur le côté. »
Fin novembre, il arrive enfin en Turquie. Il s’empresse d’écrire à sa femme pour lui annoncer qu’il est sain et sauf. Le journal « Sémaphore » de Marseille, sur la foi de renseignements inexacts, avait annoncé que dans ce naufrage, tout avait péri, corps et biens. Et pendant 6 semaines, Hommaire fut pleuré par son père et par ses amis. Seule, sa jeune femme ignorait le terrible évènement. Confiante dans la bonne étoile du jeune voyageur, elle attendait à Condrieux les premières nouvelles de sa lointaine expédition.
En 1838, sa femme le rejoint à Constantinople et les voilà en route, non… en mer, sur un bateau à vapeur, pour se rendre en Nouvelle Russie (Russie du Sud).
Mme Hommaire : « Nous avancions dans le Bosphore, et les deux rives étaient bordées jusqu’à la mer Noire de palais et de villages à demi-cachés sous les noirs ombrages des cyprès. Mille caïques aux voiles blanches glissaient légèrement sur les flots et se croisaient sans cesse d’une rive à l’autre. A mesure que nous avancions, le Bosphore s’élargissait davantage, et bientôt nous entrâmes dans cette mer Noire dont le nom sinistre s’accorde si bien avec les orages qui la bouleversent incessamment. »
Le couple trouve un pied à terre à Clarofka où Adèle s’occupe à écrire des poésies.
Comme il le dit lui-même dans sa préface, Hommaire sillonne le pays dans tous les sens, suit à pied ou à cheval le cours des fleuves et des rivières, visite toutes les côtes russes de la mer Noire, de la mer d’Azof et de la mer Caspienne, étudiant le régime des eaux et mesurant le relief du sol, de manière à pouvoir en tracer des coupes. Le gouvernement russe de Nicolas 1er le charge de plusieurs missions scientifiques et il jouit d’une assistance précieuse « dans des contrées à demi-barbares où le voyageur qui ne peut compter que sur lui-même est exposé à des mécomptes et à des privations sans nombre. » C’est aussi grâce au comte de Woronzow, gouverneur général de la Nouvelle-Russie, qu’il peut explorer le pays et découvrir une mine de fer sur les bords du Dniepr.
Rêve prémonitoire ? Il écrit à sa femme :
« Pendant que le chevaux mangent l’avoine et que l’on prépare le thé, je veux encore t’écrire quelques lignes. J’ai passé une nuit bien agitée, et mes rêves portaient sur des choses auxquelles je pensais le moins. J’ai rêvé que j’étais à Paris : il y régnait un désordre, une confusion épouvantables. Partout se faisaient entendre les cris les plus séditieux contre la famille d’Orléans. Des individus à figures hideuses entraient dans toutes les maisons pour forcer les hommes à prendre les armes. Je vis arriver devant la maison où je me trouvais une troupe de véritables bandits tout déguenillés. Ils s’arrêtèrent et, avec les plus horribles imprécations, ils crièrent : Louis- Philippe n’est plus roi. Le calme se rétablit ensuite, et à mon grand étonnement, on afficha au coin de toutes les rues une proclamation annonçant que la nation avait nommé le comte Woronzow roi de France. J’espère qu’une bonne bohémienne aurait de quoi me dire sur un rêve aussi bizarre. »
Bizarre, en effet, que ce pressentiment de la révolution de 1848 et du suffrage universel, qu’un rêve fait apparaître à l’esprit d’un Français, dans les plaines sauvages de la Nouvelle Russie, à 800 lieues* de son pays. Neuf ans séparaient encore le rêve de la réalité et la nouvelle de chute de Louis-Philippe ne fut connue de Hommaire de Hell que le 7 avril 1848, à Téhéran, alors qu’il remplissait une mission du gouvernement en Perse, mission dont les fatigues le firent succomber à l’âge de 36 ans.
* 1 lieue = environ 4 kilomètres
Son dernier voyage
Il se trouve à Téhéran en avril 1848. A la suite d’une nouvelle visite chez le premier ministre du shah, Hommaire de Hell est pris de violents accès de fièvre.
La révolution française faisait alors le sujet de toutes les conversations et la fibre nationale d’Hommaire dut tressaillir quand, couché sur son divan, en proie au mal qui le dévorait, il entendit prononcer ces paroles sorties de la bouche d’un Persan : « La France est un soleil qui éclaire le monde. »
Le 9 mai, son journal porte cette ligne dictée par une espérance illusoire : « Ma santé paraît vouloir se remettre tout à fait. » Avant de se mettre en route pour un nouveau périple, il fait graver sur une pierre fine de Ceylan ces mots en langue persane, Adèle la bien aimée, et la fait monter en bague pour la rapporter à sa femme ; attention du cœur qui veut éterniser dans un bijou la pensée qui le poursuit comme son ombre. (Une âme charitable fit parvenir ce bijou à Adèle après la mort de Xavier.)
Il effectue un voyage dans le Mazandéran, province qui avoisine la partie sud de la mer Caspienne et du Turkestan. Il s’engage dans une chaîne de montagnes où les sentiers sont tracés entre les blocs volcaniques qui surplombent à une grande hauteur la gorge où déferlent les eaux écumeuses du Lar. Il fallut de véritables efforts d’équilibriste pour sortir impunément de ces affreux défilés où, hommes et chevaux, placés à la file l’un de l’autre, ont de la peine à passer. Quelque pas plus loin il fallut traverser la rivière sur un pont à moitié rompu et dépourvu de parapets. Là, il faillit payer bien cher sa témérité. « Pour la première fois, écrit-il, il m’arrive un accident qui aurait pu devenir très grave. Au beau milieu du pont branlant, mon cheval ahuri posa le pied de travers, ce qui détermina immédiatement une chute sur les blocs de rocher qui hérissent le lit de la rivière, chute à nous briser les os. J’ai cru positivement avoir le pied broyé ; mais, Dieu merci, je n’eus que quelques égratignures. »
Il arrive enfin au bord de la mer Caspienne et écrit une lettre à sa femme : « … Quant aux chaleurs, écrit-il, elles me vont admirablement. Jamais je ne me suis aussi bien porté que depuis que le thermomètre indique, presque tous les jours, jusqu’à 36 degrés à l’ombre. Tu sais depuis longtemps que les climats chauds sont favorables à ma santé. Maintenant, si tu veux avoir le revers de la médaille pour le Mazandéran, je te dirai que toutes les nuits les chacals ne nous laissent pas un instant de repos, qu’un de ces coquins s’est même permis de venir enlever un poulet sous notre tente, que les moustiques nous font cruellement souffrir, que les grenouilles nous abasourdissent et qu’en tous lieux nous sommes assaillis par des myriades d’insectes de toute nature, de toute couleur, parmi lesquels brillent en premier les araignées. Que de cris tu aurais jetés à chaque instant si tu avais été avec nous ! Et je ne te parle pas des serpents, d’énormes lézards et autres animaux du même genre. »
Hommaire de Hell écrit ces lignes quelques semaines avant sa mort. Bercé encore d’une douce illusion sur l’état de sa santé, il veut faire partager sa confiance à sa femme qui s’inquiétait. Elle demeurait à Hyères où elle attendait le retour de son mari. Elle pressait ce retour, en raison même des événements politiques qui s’étaient produits en France.
De retour à Téhéran, sa dernière lettre à Adèle, datée du 1er juillet 1848, est alerte, pleine d’espoir et de bonheur de retrouver bientôt sa famille : « Je veux absolument aller passer quelques jours à Hyères à mon retour en France. J’aurai du plaisir à vivre là où tu as vécu et où tu m’as attendu pendant tant de mois… Quel bonheur, quel ravissement, de nous retrouver ensemble ! Ma tête se perd lorsque je pense à tant de jouissances… Adieu, adieu, tout à toi de cœur et d’âme. »
Début août, il part de Téhéran pour rejoindre Ispahan. Il est faible et peut à peine se tenir à cheval. La chaleur est accablante et la fièvre le reprend. Il délire, il grelotte. Il se remet à cheval à 3 heures du matin et arrive dans la journée à Koum, l’une des quatre villes saintes de la Perse où le gouverneur lui donne une chambre, mais rien de plus. Il a soif ! Il demande de l’eau à un individu assis sur le pas de la porte. « Après une demi-heure d’attente, écrit-il, on m’en apporta dans un vase neuf qui fut ensuite brisé en ma présence, afin de me prouver que mon contact était une souillure. »
Le 16 août, il arrive enfin à Ispahan. Il est hébergé par un père missionnaire. À peine installé, la fièvre et la dysenterie le reprennent. Dans ses moments de calme, il travaille, selon son habitude, à prendre des notes sur le pays qu’il traverse.
Le 21 août, la fièvre prend un degré d’intensité qui ne laisse plus aucun espoir de sauver le voyageur. Les notes du journal signalent tristement, jour par jour, les progrès de la maladie. Voici ses dernières lignes :
Le 21 : « La fièvre se prolonge pendant plus de trois heures et est suivie d’une prostration complète. Une maladie après l’autre, comment cela finira-t-il ? »
Le 23 : « Aussitôt après midi, violent accès de fièvre, suivi d’une incroyable faiblesse. On est obligé de me porter à bras. Je ne puis faire aucun mouvement. »
Au-dessous de ces lignes était placée la date du jeudi 24 août… Sans suite… Son agonie commença.
Le corps fut inhumé au cimetière de Djoulfa (dans le quartier arménien) à Ispahan, vêtu de blanc, avec une redingote bleue, la tête couverte d’une casquette galonnée d’or, à sa boutonnière le ruban de la Légion d’Honneur, sous son plastron une médaille de la Vierge.
D’après le désir de Mme Hommaire de Hell, une pierre sépulcrale a été placée, depuis, sur sa tombe, avec cette simple inscription : HOMMAIRE DE HELL VOYAGEUR FRANÇAIS, MORT À ISPAHAN, LE 29 AOÛT 1848.
Sources :
– Revues d’Alsace, 1860, 1861 – articles de Ch. Goutzwiller
– Voyage en Turquie et en Perse, X. Hommaire de Hell, 1854-1860
– Journal du voyage, rédigé par Mme Hommaire de Hell, d’après les notes de son mari
– Images : Jules Laurens, dessinateur, peintre, compagnon de route de Hommaire de Hell
Article paru sur mes deux précédents blogs, le 15 septembre 2012