Pierre de Hagenbach (3/3)

… suite et fin …

L’histoire s’est montrée dure pour la mémoire de Pierre de Hagenbach, elle a même été fort injuste pour lui. Condamné à mort pour le massacre des bourgeois de Thann, Hagenbach a été exécuté par le glaive sitôt la sentence prononcée.

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La procédure criminelle

On attendait la venue de Sigismond à Brisach pour commencer le procès. Arrivé le 30 avril, l’archiduc n’y resta que quelques jours, préférant s’éloigner pour ne pas être amené à user de son droit de clémence.
Une commission autrichienne, composée d’Hermann d’Eptingen, le nouveau Landvogt, de Hildebrand Rasp et de Marquardt de Schellenberg, fut chargée de l’instruction du procès. Un premier interrogatoire resta infructueux. On résolut alors de soumettre le Landvogt à la question préalable en lui appliquant la torture. Trop heureuse de se venger, Bâle sollicitée, dépêcha Jean Schalk le bourreau.
Affaibli par sa détention, Hagenbach fut amené en brouette à la salle de torture, sous les cris et les menaces de la foule qui hurlait « Judas, Judas ! » On lui mit de lourdes pierres sur les pieds et on tira quatre fois sur la corde qu’il avait aux poignets. Malgré d’horribles douleurs, on ne put tirer de lui davantage qu’on ne savait déjà, c’est-à-dire que le bailli avait agi par ordre.

Les chefs d’accusation

Le procès eut lieu le 9 mai en plein air, en présence d’une foule énorme. De Bâle, trois bateaux chargés de quatre cents spectateurs descendirent le Rhin.
Le tribunal se composait de la manière suivant : 24 juges dont 8 de Brisach et 2 pour les autres villes. La présidence fut assurée par Thomas Schultz (Ensisheim), le Landvogt autrichien soutenait l’accusation. Le malheureux bailli eut toutes les peines du monde à trouver un défenseur.
Les quatre chefs d’accusation soutenus par Iselin représentant le Landvogt autrichien furent les suivants :

1. D’avoir à Thann en 1473 fait exécuter sans jugement, contrairement aux lois impériales quatre honorables bourgeois.
2. D’avoir, au moment de la prise de possession de Brisach, supprimé les corporations, retiré la charge des conseillers et imposé aux habitants de la ville de lourdes charges nouvelles contrairement au serment qu’il avait fait de ne pas innover ni imposer de nouvelles impositions.
3. D’avoir introduit dans la fille des soldats Wallons et Picards, de les avoir logés chez des bourgeois où ils pillèrent tout et d’avoir commandé à ceux-ci d’attendre son signal pour commettre des assassinats ; enfin d’avoir fait préparer des bateaux à fond plat, percer des trous pour noyer dans le Rhin femmes et enfants après l’assassinat de la population masculine.
4. D’avoir à Brisach et ailleurs, violé des femmes, des jeunes filles et même des religieuses.

En conséquence, l’accusateur réclamait la mort du bailli.

La défense de Hagenbach

Le bailli fit répondre par ses avocats comment répliquer à l’accusation :

1. En ce qui concerne le premier chef d’accusation, il avait agi par ordre de ses maîtres, le Duc de Bourgogne et l’Empereur Frédéric III mis au courant de l’insurrection de Thann.
2. A l’égard de Brisach, il reconnut son serment, soutenant néanmoins avoir agi sur ordre formel du Duc.
3. Même réponse au sujet de l’entrée des troupes wallonnes et picardes.
4. Sur le quatrième chef, il répondit que probablement parmi ses juges, il y en avait qui s’étaient rendus coupables des mêmes faits sans avoir été punis et qu’au surplus il n’a agi qu’en payant les femmes sans les avoir violé contre leur gré.
De plus, le défenseur de Pierre de Hagenbach souleva la question de l’incompétence du tribunal, étant donné que le bailli n’était redevable de ses actes qu’envers son seigneur et maître, Charles le Téméraire.

Le jugement

A la demande de preuves exigées par Hagenbach, il lui fut répondu que ses crimes étaient universellement connus. Sur la quête de l’accusateur, six témoins de la torture vinrent affirmer sous foi et serment qu’Hagenbach avait tout avoué lui-même. De plus, on lui refusa l’offre de prouver le mandat invoqué par l’accusé ainsi que l’ajournement du procès. Dès lors, tout était fini. Les jurés se retirèrent et délibérèrent : la peine capitale.

Le supplice

Huit bourreaux se disputèrent le sinistre honneur d’exécuter l’arrêt de mort. Le choix tomba sur un petit homme de Colmar qui devait faire mordre la poussière au géant !
Accompagné de flambeaux, de juges à cheval et d’une foule malgré tout émue par la vaillante attitude du condamné, ce dernier avec son confesseur, chemina vers la Porte Haute, lieu du supplice.
Après avoir demandé à ses juges de faire ratifier le jugement par Sigismond et avoir recommandé son âme à Dieu, le malheureux bailli se mit entre les mains de son bourreau qui, avec maîtrise, sépara la tête du tronc. Un cri s’éleva, poussé par des milliers de spectateurs. C’était cinq ans, jour pour jour, après le traité de Saint-Omer. Le drame était fini. Le corps du bailli fut enterré sur place, au lieu même du supplice. Sa veuve y fit élever une chapelle.
Ainsi se terminait un grand drame judiciaire qui, par certains aspects obscurs et la hâte avec laquelle on se débarrassa du Landvogt sundgauvien, ressemble presque à un assassinat !

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Les représailles bourguignonnes

La Haute Alsace allait subir les conséquences de cette mort, tout comme l’avait pressenti Pierre de Hagenbach.
Son frère, Etienne de Hagenbach, pour venger la mort du bailli, envahit le Sundgau en août 1474, à la tête d’une armée rassemblée par le Téméraire. Le 18 août, Etienne de Hagenbach fit irruption dans le secteur de Dannemarie et ravagea une trentaine de villages ainsi que l’abbaye de l’Oelenberg. Cette invasion était une nouvelle fois marquée par des sauvageries commises par les mercenaires bourguignons. Une fois de plus les paysans furent repoussés les Thannois. En novembre, il fut autorisé à se retirer, lors de la capitulation d’Héricourt, avec les autres défenseurs. Il faut voir dans cette violente incursion, une opération de représailles, sans intention de reconquête. Dès 1478, Etienne de Hagenbach retrouva les biens confisqués par la Maison d’Autriche.
Pierre de Hagenbach et l’Histoire

L’Histoire s’est montrée dure pour la mémoire de Pierre de Hagenbach, elle a même été fort injuste pour lui.
À quelques rares exceptions près, les historiens ont tracé du Grand Bailli un portrait bien peu glorieux. Ils ont passionnément épousé toutes les rancunes de ses ennemis et ne lui ont reconnu aucune qualité ; le seul témoin contemporain, le chapelain bâlois Knebel, est celui qui porte le plus lourdement la responsabilité de cette haine systématique. Knebel étant suisse, il ne s’est sans aucun doute que laissé égarer par la haine nationale. Il était aussi clerc et le Grand Bailli n’avait pas beaucoup d’estime pour cet ordre. Tous les témoignages sur Hagenbach viennent de ses ennemis !

 

 

Source : Article précédemment mis en ligne sur le site internet de iSundgau, le portail, en 2005, puis sur les blogs persos (overblog et eklablog)

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