Le carnaval, autrefois

Pour hâter la venue d’un printemps qui se faisait toujours attendre et avant d’entrer dans cette longue période de jeûne précédant Pâques, jour de renaissance dans tous les sens du terme, nos anciens faisaient ripailles, riaient, dansaient, se déguisaient, se défoulaient et s’amusaient à leurs dépens ou, et surtout, aux dépens des autres.

Ce temps de divertissement qu’est le carnaval, représentait un cycle marquant la fin des rigueurs de l’hiver et la venue du Carême. Le Sundgau ne dérogeait en rien à cette règle et les manifestations populaires dans les villages célébraient cette période de liesse. Actuellement, le terme de « carnaval » ne regroupe plus guère que les bals, les cavalcades et autres manifestations.
Autrefois, cette période allait du Mardi Gras au Mercredi des Cendres et occupait pleinement toute la population de la région.

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La fête des fous  (Narrenfest)
Cette fête inversait tous les rôles et le simple paysan pouvait devenir roi ou prince du village pendant toute une journée. Ses ordres devaient être exécutés et ce Narrenfest se terminait souvent en grande beuverie !
Récupérée par l’Église, cette fête ancienne devint l’Épiphanie qui célèbre les trois Rois Mages. Le 6 janvier, le « Jour des Rois » était consacré à Caspar, Melchior et Balthazar. On traçait leurs initiales C+M+B sur une poutre de la maison afin de la protéger contre les inondations et les incendies.

La chandeleur
La chandeleur suivait la fête des rois. Pendant l’office le prêtre bénissait les cierges que chaque famille apportait à l’église. Ce cierge béni était allumé si l’un des membres de la famille était à l’agonie ou si la foudre risquait de tomber sur la maison. De nombreux proverbes attestent encore de la haute importance que cette date du 2 février avait autrefois dans l’esprit du peuple. A la chandeleur, disait-on, l’hiver n’est qu’à moitié fini ; il faut encore ménager le bois et le fourrage. Après la chandeleur commençait véritablement la période des rites carnavalesques.

Les journées de carnaval
Ces anciennes coutumes de carnaval connaissent des origines profondes d’inspirations très différentes ! Les unes remontent aux temps païens, au profond sens symbolique (chasser l’hiver et appeler le soleil), les autres, d’aspiration chrétienne, interviennent avec le Carême. Le peuple désire s’adonner à une joie de vivre avant de devoir se soumettre aux très strictes restrictions imposées par l’Église (40 jours de jeûne du Mercredi des Cendres jusqu’à Pâques).

Le Herrenfasnacht  (le carnaval des maîtres)
Autrefois, le Herrenfasnacht était fêté le dimanche avant le Mercredi des Cendres. Durant cette journée, les notables de la commune se réunissaient en banquet, faisaient bombance en victuailles et en vins fins et se déguisaient. Ils se barbouillaient le visage de suie, portaient un masque en bois sculpté ou un bonnet de fous à grelots. Danses, chants et festin se succédaient jusqu’aux premières heures de l’aube.

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Le Weiberfasnacht ou Hirtzmontag  (le carnaval des femmes)
Il s’agit là d’une spécificité de la Haute-Alsace et plus particulièrement du Sundgau. Connu également sous le nom de Hirtzmontag, le carnaval des femmes se tenait le lundi avant le Mardi-Gras. Femmes et demoiselles s’octroyaient des privilèges réservés aux seuls hommes : déguisées, elles se réunissaient dans les auberges pour se divertir en joyeuses ripailles. Dans le Sundgau, elles traquaient les rares hommes qui osaient s’aventurer dans les rues ce jour-là et les détroussaient. Après les avoir houspillés, elles leur prenaient chapeaux et vestes qu’ils devaient racheter par des pots de vin. Hirtzmontag se traduit par « lundi du cerf » et cette dénomination pourrait être rapprochée au symbole de la puissance fécondante.
Ce que l’on sait moins, c’est que ce « lundi des femmes » s’est maintenu et se retrouve encore sous la forme des « bals des veuves » où ce sont les femmes, déguisées, qui se réservent le droit d’inviter leurs cavaliers.

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Le Schnitzzichtig  (Mardi-Gras)
Autrefois, toutes les familles sundgauviennes faisaient provision de Schnitz durant l’hiver. Dans l’embrasure des fenêtres, on séchait des quartiers de poires, de pommes ou de prunes. Cuits à l’eau, avec un morceau de lard épais, ces fruits séchés se mangeaient le Mardi-Gras, sous le nom de Schnitz (tranches). Et tout propriétaire qui se respectait, célébrait le Schnitzzichtig par un copieux repas, auquel étaient conviés les journaliers et les ouvriers de la maison. Ce jour de Mardi-Gras voyait également la foule déferler dans les rues. Déguisés, les jeunes se lançaient dans la traditionnelle collecte des œufs. La journée se terminait par un bal populaire bien arrosé.

Le Burafasnacht  (carnaval des paysans)
Le premier dimanche de carême, en opposition au Herrenfasnacht, se tenait le carnaval des paysans. Dénommé Burafasnacht, ce jour portait aussi le nom de Kuchelsunntig (dimanche des beignets). Les femmes confectionnaient les traditionnels beignets avec les dernières pommes. Les beignets étant de forme ronde, on peut aussi penser que cette dénomination est issue des fameux disques en bois qu’on lançait dans le ciel.
Ce jour-là, on allumait des feux de carnaval, dont la coutume aux origines médiévales n’a pas complètement disparue. A la tombée du jour, sur une hauteur à proximité du village, de grands tas de bois, réunis les jours précédents par la classe des conscrits, sont mis à feu en présence de toute la population. Ces feux annoncent la fin de l’hiver, principal objet du carnaval. La jeunesse danse autour du foyer et quand les flammes baissent, les jeunes couples sautent par-dessus en gage de bonheur pour la vie conjugale.
Nombreux et importants étaient ces feux dans le Sundgau et tout particulièrement dans le Jura alsacien. Dans la région de Ferrette, la croyance populaire affirme que l’on pouvait déterminer son espérance de vie d’après le nombre de feux que l’on distinguait dans la nuit !

Le Schieweschlaawe  (lancement de disques)
Durant la nuit du Burafasnacht, profitant des feux de carnaval, les participants allumaient au brasier un disque de bois qu’ils projetaient en l’air de toutes leurs forces. Nos anciens ne faisaient que répéter cette vieille coutume qui appelait la fin de ces longues et froides nuits hivernales et le retour du soleil et de sa chaleur !

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Durant ces journées carnavalesques, apparaissaient également l’homme sauvage. A Magstatt-le-Bas, les conscrits promenaient, toute la journée du Mardi-Gras, un jeune homme enveloppé de paille qui faisait des bonds au bout d’une corde. Cette tradition peut aussi se rattacher à la célébration de la Sainte Dorothée (à Buschwiller) pour laquelle les conscrits confectionnaient une grande poupée de paille, vêtue de guenilles. Et le soir même, la Dorothée connaissait la crémation. Du côté de Habsheim, on livrait la « Katy » aux flammes.

Le Schnitzelbank
La période du carnaval était aussi l’occasion pour les pamphlétaires de service de composer les fameux Schnitzelbank, ces oraisons satiriques qui égratignaient les élus locaux et soulignaient les bévues des concitoyens. Ce genre littéraire était très prisé par les Sundgauviens et leur donnait l’occasion de dire tout haut, une fois dans l’année, ce qu’ils pensaient tout bas durant les autres jours. Cette « liberté de presse » était attendue par tout le village et permettait au peuple de se défouler !

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