La soupe, un repas

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.  Ce temps frisquet est idéal pour préparer une bonne soupe de légumes. Avec une cuisinière électrique ou à gaz, nous n’avons aucun problème (ni aucune excuse) pour préparer un bon repas. Mais avant toutes ces innovations, le travail était long, très long. Jugez-en…

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Texte adapté de « Récits et légendes du Sundgau », Maurice Higelin, 2e édition, 1930

Mariannele, la femme de Tony lequel travaillait en forêt, préparait sa soupe, une de ces soupes d’Alsace qui vous réveilleraient un mort, tant elles ont un ravigotant fumet, une de ce soupes à côté desquelles toute autre semble fade, une de ces soupes où, avec tous les savoureux légumes, on trouve le fameux lard fumé dans les branches de sapin et les baies de genièvre, une de ces soupes, enfin, cuites sur un feu couvert de cendres et dans laquelle, pour l’amour des siens, la ménagère semble avoir mis un morceau de son cœur.

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Lorsque, au petit matin carillonna l’Angélus, elle raviva la braise qui couvait sous la cendre, fit joyeuse flambée, mit à bouillir son eau, puis éplucha ses légumes que le soleil levant caressait d’aimables rayons, coupa une large tranche au cotis de lard entamé et jeta le tout dans l’eau frémissante.
Vers l’âtre le chat ronronnait avec des yeux gourmands, de temps en temps se pourléchant par avance les babines, ou suivant rêveusement les spirales de vapeur, comme s’il y découvrait des choses surnaturelles.
Le coq claironnait, les poules chantaient leur ponte, sur la mare les canards étaient loquaces, et rrric, rrrac, le balancier de l’horloge à boîte scandait les heures paisibles. La sixième heure tinta, calme et réfléchie comme sa maîtresse, qui soupira un « déjà » démontrant qu’elle avait bien des choses à faire cette matinée.

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Surveillée toujours par le chat, voici que la soupe embaumait. On la sentait jusqu’au troisième grenier (1), où venait grimper la ménagère, pour surveiller ses fruits.
Septembre soufflait en froid là-haut, et la Mariannele dut se chauffer les doigts sous son fichu de laine, mais, avec un bon sourire, elle dit :
– Va-t-il être content, mon Tony, d’avoir une soupe chaude !
Rrric, rrrac, l’horloge à boîte avançait et dans la marmite, à petits bouillons réguliers, la soupe se dépêchait pour être prête à l’heure, consciente du rôle qu’elle jouait, avec une odeur alléchante de plus en plus, si bien que le chat avançait le cou, pour humer à pleines narines la savoureuse vapeur. Il s’imaginait voir déjà dans son assiette la bonne couenne agrémentée d’une large bordure de lard transparent, car la ménagère alsacienne n’est pas chiche et elle aime ses bêtes.
Rrric, rrrac, l’horloge sonne midi.

Mariannele soulève le couvercle de la marmite, sourit à son chef-d’œuvre. Les enfants vont bientôt rentrer, les uns de l’école, les autres des champs. Elle pose la miche au milieu de la table, deux terrines de lait caillé et des fruits pour les petits, un bout de fromage et une bouteille de vin pour Tony.

Tout est prêt, si propre, si appétissant. La soupe sera bonne !

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(1) Les greniers, sous les grands toits d’Alsace, ont généralement trois étages à destinations diverses. Souvent les fruits occupent le dernier étage et chaque semaine la ménagère les passe en revue, enlevant ceux qui commencent à se « piquer ».

 

Source : Récits et légendes du Sundgau, Maurice Higelin, 2e édition, 1930

 

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