Frédéric II, comte de Ferrette
|Le règne de Frédéric II, comte de Ferrette (1197 – 1232) a été secoué par des violences et des guerres.
L’épisode le plus connu de sa vie a été l’enlèvement de l’évêque de Bâle, forfait accompli aux abords du château d’Altkirch et qui lui valut une lourde condamnation, la fameuse peine du « Harnescar ».
Pour l’Histoire, Frédéric II finira assassiné par un de ses fils, Louis dit le Furieux, qui mourra excommunié en 1236.
Et pourtant …
Cette version de l’assassinat de Frédéric II par son fils aîné, Louis, dura pendant 600 ans, jusqu’à ce que l’historien A. Quiquerez (1852) trouve dans les archives de famille d’un ancien Bernardin de Lucelle un parchemin de petit format, muni du sceau d’Ulrich II comte de Ferrette, (frère de Louis le Furieux).
Ce parchemin était la confession de l’assassinat de Frédéric II, confession datée du 31 janvier 1275. Il faut croire qu’un remords tardif avait saisi Ulrich au moment où il allait rendre ses comptes à Dieu : il s’avoua l’auteur du parricide. Justice a été faite pour le pauvre Louis, mais 600 ans après !
Et pendant 42 ans Ulrich régna sur le comté de Ferrette à la place de son frère aîné.
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Les magnifiques domaines dont jouissait Frédéric II, comte de Ferrette, étaient devenus un objet de convoitise pour l’évêque. Le conflit était imminent.
Frédéric possédait dans le pays d’Ajoie et de Salignon, compris dans l’évêché, quelques domaines dont la propriété ne paraissait pas clairement assise. L’évêque les revendiqua, ainsi que deux villages près de Ferrette (Wolschwiller et Durlinsdorf), comme domaines de l’église de Bâle et invita le comte à les déguerpir.
Il n’en fallut pas davantage pour pousser au paroxysme l’esprit de résistance du comte. Dès ce moment il médita contre l’évêque une vengeance éclatante. Dans le cours de l’année 1232, l’évêque, Henri de Thoune, faisait une tournée épiscopale aux environs d’Altkirch. Accompagné d’un nombreux personnel ecclésiastique et laïc, son brillant équipage venait d’arriver sous les murs de la ville. Frédéric, prévenu de son approche, le guettait du haut du château d’Altkirch, et, cédant aux inspirations de son caractère violent, il fondit sur lui avec ses chevaliers et hommes d’armes, s’empara de la personne du prélat et de toute sa suite, fit main basse sur les effets précieux et abandonna le reste au pillage. L’évêque, ses chanoines, ses vicaires, ses serviteurs furent emmenés prisonniers au château d’Altkirch. Là, sous la pression de la force, l’évêque renonca, par serment, aux prétentions qui faisaient l’objet du litige, confirma cette renonciation par un acte écrit et n’obtint sa liberté qu’en donnant des otages.
Cet acte de violence inouïe devait avoir un funeste contrecoup. Rentré à Bâle, l’évêque prit immédiatement les mesures nécessaires pour obtenir une réparation éclatante. L’attentat commis sur la personne sacrée d’un dignitaire de l’église avait produit un effet déplorable sur l’esprit public ; il fallait absolument montrer au peuple qu’un évêque ne peut être humilié ainsi ! Une punition terrible devait frapper le coupable afin de relever l’autorité ébranlée de l’évêque et réhabiliter sa force morale sur l’esprit des masses.
L’évêque se plaignit à l’empereur qui força le comte, en le menaçant de le mettre au ban de l’empire, à faire réparation publique de l’outrage commis sur la personne de l’évêque : il le condamna à la peine du « Harnescar ».
D’abord, restitution de tous les effets pillés, soit en nature, soit en valeur estimative.
Ensuite humiliation publique du comte, de sa famille et de ses servants, par la terrible peine de l’Harnescar (le coupable était obligé de porter publiquement un chien sur ses épaules, s’il était comte ou baron ; une selle, s’il était chevalier ou écuyer ; le soc et les cornes d’une charrue, s’il était paysan ou serf) et le portera à travers les rues de la ville jusqu’aux portes de la cathédrale.
Puis, première, deuxième et troisième génuflexion devant l’évêque et humble demande de pardon ; restitution à l’évêque de la parole donnée pendant sa captivité ; abandon pur et simple par le comte à l’évêque des deux domaines litigieux ; condition imposée au père d’amener son fils récalcitrant, ce Louis le Grimmel ou le Furieux que l‘histoire a faussement flétri du nom de parricide, à ratifier ces engagements ; sinon, excommunication et anathème sur la famille entière.
Enfin, pour solder le compte expiatoire de Frédéric, une amende dont le chiffre était laissé à la discrétion du doyen et du prévôt du Chapitre. Ce n’est pas tout encore.
Tous les habitants d’Altkirch, sans exception, hommes et femmes, obligés de se rendre en procession à Bâle, les hommes, tonsurés et couverts de la robe des pénitents, à la manière des condamnés conduits à l’échafaud ; génuflexion devant le portail de la cathédrale et amende pécuniaire, le tout sous peine d’excommunication .
Un rude coup était porté à la puissance temporelle du Sundgau. La noblesse, par ses propres fautes, avait préparé un avenir de malheur à sa race. Cet échafaudage de puissance qui semblait reposer sur le granit, était désormais profondément miné. L’horizon du comté de Ferrette s’assombrissait.
Cependant la fierté du sang se révolta dans la personne du fils contre l’arrêt d’infamie qui avait frappé le père. Louis refusa de souscrire aux conditions de l’arrêt. L’histoire ne dit rien de l’attitude d’Ulrich, second fils de Frédéric, dans cette circonstance solennelle et décisive. Caractère plus dissimulé, il se garda bien de manifester son sentiment et n’en couva pas moins un projet affreux où le machiavélisme du but se trahit par les précautions prises pour cacher les moyens.
Vers la fin de cette année 1232, c’est-à-dire vers Pâques, suivant le système chronologique du moyen âge, Frédéric II mourut assassiné (étranglé et poignardé).
L’opinion publique, prévenue contre Louis dont le caractère violent ne recherchait point la sympathie, l’accusa de parricide. Ulrich, qui convoitait la succession paternelle, était allé au-devant de l’opinion et avait tout fait pour l’accréditer. Cette simple opinion devint pour l’histoire un fait avéré, et elle l’enregistra comme tel, en imprimant son stigmate sur la mémoire du prétendu meurtrier.
Et pendant 600 ans, l’histoire a accouplé cette sombre épithète de parricide au nom de Louis. Une terrible fatalité ou peut-être un terrible mystère, qu’il ne nous est pas donné d’approfondir, empêchait alors la vérité de se faire jour. Louis fut excommunié, mis au ban, chassé du domaine paternel et condamné à subir le supplice moral que faisait peser sur lui une accusation injuste, à mourir, en 1281, sans voir son nom réhabilité.
Cette réhabilitation a tardé six siècles. Louis, réprouvé, marqué au front du sceau fatal, erra de province en province, jusqu’en Italie où il alla se jeter aux pieds du souverain pontife, demandant sa réhabilitation sans l’obtenir (les preuves sans doute lui manquaient), mais obtint néanmoins, par le sacrifice de ses biens en faveur de l’église de Rome, d’être relevé de l’excommunication.
Il y a quelques années, un de ces chercheurs infatigables qui passent leur vie à déchiffrer les manuscrits du moyen âge découvrit dans les archives de famille d’un ancien Bernardin de Lucelle un parchemin de petit format, muni du sceau d’Ulrich II, comte de Ferrette. C’était la confession de mort du comte, datée de la veille des calendes de février (31 janvier) 1275. Un remords tardif avait saisi Ulrich au moment où il allait rendre ses comptes à Dieu : il s’avoua l’auteur du parricide.
En voici la traduction (original écrit en latin) :
« En présence de Dieu et de sa mère Marie, Nous Ulric, comte de Ferrette, faisons connaître que le meurtrier de notre père Frédéric, n’est point notre frère Louis notre frère que nous avons injustement accusé et que nous avons exclu de l’héritage à cause de la malédiction paternelle, mais que c’est nous Ulrich. Dieu veuille nous absoudre de ce parricide ainsi que du meurtre de Rodophe comte de Sogren tué avec le même poignard et enseveli secrètement avec lui dans la chapelle du château de Sogren. C’est pourquoi, au moment de quitter la vie, je confesse tous mes péchés au révérend moine Benoît qui écrit cette confession pour qu’elle soit le monument de mon crime et de mon sincère repentir. En témoignage de quoi la présente charte a été munie de notre sceau. Donné en l’an du Seigneur mil deux cent soixante-quinze, la veille des calendes de février. »
Ainsi, dans ses vieux jours, à l’approche de la mort qui l’effrayait, le comte Ulrich avouait, à la fois, deux crimes dont l’un était peu connu et l’autre avait contribué à la ruine de son frère.
Comment se fait-il, demandera-t-on, que ce document ait échappé si longtemps à la publicité ? On ne peut répondre à cette question que par des conjectures. Un moine de Lucelle, le père Benoît, comme nous l’apprend le manuscrit, avait reçu la confession d’Ulrich. Aurait-il cédé à un scrupule de conscience qui, malgré l’autorisation expresse du pénitent, lui défendait d’enfreindre les lois canoniques relatives au secret de la confession ? Aurait-il cédé aux suggestions de la famille qui le supplia peut-être d’ensevelir dans le secret du cloître le forfait dont s’était rendu coupable Ulrich, et dont le fils, Thiébaut, venait de ceindre la couronne de comte de Ferrette ? Louis n’avait point d’enfants ; ses instincts violents l’avaient signalé à l’aversion publique. On pouvait donc sacrifier aisément sa mémoire. Le secret fut gardé. Cette transaction ne serait pas un fait sans exemple : les coulisses de la haute société politique au moyen âge ont couvert bien d’autres mystères.
Sources :
– Esquisses historiques de l’ancien comté de Ferrette de Ch. Goutzwiller (Revue d’Alsace 1853)
– Album de la Suisse pittoresque (1836)
– Image « assassinat de Frédéric II » – Le journal historique de l’Alsace, tome 1
Au début de cet article, il est fait référence à Auguste Quiquerez (XIXème siècle) qui affirme avoir découvert un document, prouvant que l’assassin de Frédéric II n’est pas Louis le Féroce, mais Ulrich II. Or ce document de Quiquerez est un faux, l’assassin de Frédéric II est bien Louis le Féroce. Voir l’analyse de Christian Wilsdorf dans son livre Histoire des comtes de Ferrette, pages 247-252.
Rien ne prouve que ce document soit un faux. La confession de Ulrich II portait son sceau.