Les rites de la mort
|Dernier sommeil, dernier voyage ?
La réalité de la mort est d’une grande violence, au sens où elle sépare. Au fil des temps, les rites de la mort sont conçus pour aider à canaliser l’angoisse de sa propre mort et de permettre faire le deuil de l’être aimé . Ils instaurent un moment d’écart et servent aussi à rappeler l’appartenance du mort à une communauté.
Les premiers rites de la mort remontent à cent mille ans, reconnaissables par des ensevelissements avec des offrandes ou dans une position particulière.
Contrairement à l’animal, l’être humain peut concevoir sa propre mort. Cette conscience permet à l’homme d’organiser un rituel funéraire autour du cadavre qui n’est pas abandonné. Des paléontologues ont ainsi retrouvé des tombes avec des morts placés en position fœtale, des objets de la vie quotidienne auprès d’eux.
Actuellement, le rite de la mort est en crise, confronté aux espaces des hôpitaux, des funérariums et des crématoriums, ainsi qu’au commerce des services funéraires.
La mort à domicile fut pendant des siècles le lot de la majorité des personnes. Depuis les années 1960, la mort à l’hôpital s’est développée et concerne actuellement 80 % des Français. Les rites funéraires s’estompent et beaucoup de personnes ne les observent plus. Le développement des soins à domicile permettent à nouveau à la personne en fin de vie de mourir parmi les siens. Cependant, les vivants cohabitent encore difficilement avec la mort et le transfert dans un funérarium est souvent pratiqué.
Le rituel funèbre
Une des fonctions principales du rituel funèbre est de permettre le deuil de l’être aimé en rendant possible l’élaboration d’un projet de vie sans « l’autre ». On distingue ainsi 3 phases dans la réalisation de ce rite :
— reconnaissance et identification de la mort en permettant aux proches de voir le défunt qui est souvent exposé (à la morgue ou au domicile, par exemple)
— passage de la vie à la mort par un rituel souvent religieux. La biographie de la personne disparue sera exposée, des proches interviendront pour louer sa mémoire. Cela indique définitivement que le défunt n’appartient plus au monde des vivants
— ensevelissement ou crémation du corps pour marquer sa disparition du monde des vivants et son appartenance à celui des morts.
Lorsque ce rituel est respecté, il assure une bonne qualité du deuil, à la fois comme rite social (porter des vêtements noirs, par exemple) et comme adaptation psychologique à la perte de l’autre (lutte contre l’angoisse de sa propre mort).
Les rites de nos Anciens
Nos ancêtres veillaient le mort, une bougie gardée allumée à ses côtés, symbolisant l’âme qui vacille et qui hésite à quitter le corps.
Le prêtre faisait sonner le glas pour avertir la communauté paroissiale. Il animait les veillées funèbres, assurait la levée du corps au domicile du trépassé et présidait la procession accompagnant le corps à l’église où il célébrait la messe. Puis il conduisait la dépouille jusqu’à sa dernière demeure, le cimetière étant attenant de l’église.
L’annonce de la mort
On fait sonner le glas (tintement des cloches qui avertit la communauté qu’un de ses membres vient de mourir). Autrefois, on allumait des cierges, voilait les miroirs et ouvrait les fenêtres de la pièce où se trouvait le défunt pour permettre à son âme de s’échapper.
La toilette du mort
C’est le dernier contact physique avec le mort. Elle était fréquemment confiée à des mains féminines (proches, voisines) qui lavaient le corps du défunt avec du vinaigre ou de l’eau additionnée d’alcool, l’habillaient de ses plus beaux habits et le préparaient pour la veillée funèbre.
Lavé, rasé, coiffé, revêtu de ses plus beaux habits, le défunt était allongé sur le lit, les mains croisées sur la poitrine, pourvu de ses objets de piété (chapelet, médailles) et parfois de ses bijoux. Cette toilette était l’occasion de dire le respect dû au corps et l’attention mise à présenter au mieux celui qui avait vécu son passage à ceux qui allaient venir lui rendre une dernière visite.
La veillée mortuaire
Les amis et le voisinage venaient faire un dernier adieu au défunt et confirmait par leur présence une solidarité réconfortante pour ses proches.
Aujourd’hui, la veillée de prières existe encore parfois, mais la plupart du temps, la présence de ceux qui viennent ne se prolonge jamais durant la nuit. Il y a encore quelques décennies la chambre mortuaire était transformée en chapelle ardente et la nuit découpée en plages horaires pour permettre un roulement de la part des chrétiens de la paroisse. On y faisait visite et prière un temps, puis on passait dans la pièce voisine pour y parler de la vie du trépassé. On en profitait pour manger et boire, ce qui avait comme conséquence de renforcer et de resserrer les liens sociaux.
Rien de semblable dans la société moderne. Les visites rendues au mort, pâle substitut de la veillée funèbre revêtent surtout un caractère institutionnel. Les funérariums, salons d’exposition, cherchent à leur manière à offrir aux liens humains un espace où s’épanouir, mais il n’y règne pas la même chaleur, d’autant que souvent le cercueil est fermé. Autrefois on se rendait à la maison pour voir le défunt une dernière fois.
La messe des funérailles
La famille, les amis du défunt se réunissent avec des membres de la communauté paroissiale pour la célébration de la messe des funérailles. La famille endeuillée occupe les premiers rangs à l’église.
Participer aux obsèques était et demeure un signe important. Dans le monde rural il ne pouvait être question d’y manquer ou de s’y soustraire. En ville, la même contrainte n’existe pas.
Le cortège et l’inhumation
Dans le cortège, la famille marche en tête, les hommes d’abord, puis les femmes, en grand deuil, puis les autres membres de la famille et amis, suivis de la communauté.
Actuellement, ce rite est en voix de disparition, même dans les villages. La famille désire, le plus souvent, célébrer en privé le rite de l’inhumation.
Des coutumes telles que l’aspersion du cercueil à l’aide d’eau bénite, l’invocation de la Trinité en mettant un peu de terre dans la tombe ou l’offrande d’une couronne symbolisent le souhait de le vie éternelle.
Les condoléances
Les condoléances sont de tradition tout à fait récente et revêtent un caractère mondain dont n’avaient pas besoin les villageois qui côtoyaient le défunt et sa famille pendant tout le temps qui précédait les funérailles elles-mêmes.
Ce rite fut proposé, comme rite de séparation, mais aussi de démonstration d’affection auprès de la famille, dans le cimetière d’abord, dans l’église ensuite. Progressivement de moins en moins de personnes se déplacent au cimetière, depuis l’instauration du registre au fond de l’église. La liste des signataires est remise à la famille qui peut répondre par une carte de remerciements généralement imprimée. Souvent, la famille mentionne dans l’avis de décès qu’elle ne souhaite pas recevoir de condoléances par voie orale. Ici encore la rencontre et la relation ont perdu leur place au profit d’une démarche institutionnalisée.
Les faire-part
Les faire-part journalistiques ont remplacé les enveloppes à bordure noire, les crieurs de mort et le tintement du glas. Le faire-part devient une sorte de rite où peuvent se jouer des différences, où peuvent s’exprimer les nuances qui traduisent la singularité de la situation vécue : Il a plu à Dieu … mon amie retourne en ton repos …
Aux crieurs de mort et aux faire-part postaux ont succédé les faire-part journalistiques.Sur l’annonce du décès, toute la famille doit apparaître et cela dans un ordre très protocolaire, avec le nom de chacun des membres de la famille par ordre de parenté, ainsi que la date et le lieu de l’enterrement. L’abonnement à un journal local est souvent utile pour être informé d’un décès d’une personne de la région !
Le repas funéraire
Le repas consécutif aux funérailles manifestait une solidarité de la collectivité élargie (tout le village) ou restreinte (les proches).
Cette coutume est toujours vivace et se traduit essentiellement par les retrouvailles des amis et proches autour d’un verre et d’une petite collation. C’est l’occasion de se souvenir du défunt, de raconter des anecdotes le concernant, de soutenir la famille dans son deuil et aussi de revoir des amis communs.
Porter le deuil
Autrefois le deuil, comme douleur, était une manifestation légitime et nécessaire de la souffrance.
Le jour des obsèques, hommes et femmes devaient se vêtir de noir, n’arborer aucun signe de coquetterie.
En portant des vêtements noirs, en les conservant un certain temps, c’était un hommage que l’on rendait au défunt. On distinguait le grand deuil et le demi-deuil. Deux ans pour une veuve, un an pour un veuf, six mois pour des grands-parents, un frère ou une sœur, trois mois pour un oncle, une tante et six semaines pour un cousin.
Il fallait s’abstenir de toute distraction pendant la durée du grand deuil. Aucune fête, aucune sortie n’était autorisée.
Aujourd’hui, un deuil n’interrompt plus une vie professionnelle, la vie reprend son cours mais on s’abstient durant quelques semaines de toute vie mondaine. Les vêtements de deuil ne se portent pratiquement plus, mais une tenue sobre est conseillée.
Il n’est pas sûr que l’on perçoive bien les conséquences d’une telle suppression. Sans chercher à vouloir faire comme dans certains pays méditerranéens, où une veuve doit porter le deuil toute sa vie, n’y aurait-il pas à réinventer certains signes rituels qui disent la réalité de la séparation dont justement on n’a pas encore fait psychologiquement le deuil ?
Plus d’informations : Dossier élaboré par les musées de la ville de Strasbourg « Rites de la mort en Alsace – de la préhistoire à la fin du XIXe siècle ».
Sources :
Les funérailles : les chrétiens face à la mort, par Louis-Michel Renier
(SFAP, Collège soins infirmiers, L’infirmier et les soins palliatifs, Masson, 1999)
Mourir : rituels de la mort dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, par Paul Lepic, Ed. Bréal, 2006
Savoir mourir, par Alain Montando, L’Harmattan, 1993