Le Rhin et ses légendes populaires

Le Rhin, ce fleuve long de 1230 km, prend sa source dans les Alpes suisses et traverse de nombreux pays, avant de mêler partiellement ses eaux avec celles de la Meuse dans un grand delta et de se jeter dans la mer du Nord. De nombreux récits, contes, légendes et poèmes sont consacrés à ce fleuve majestueux.

Victor Hugo disait, en parlant du Rhin : « Il y a toute l’histoire de l’Europe dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne. Le Rhin réunit tout. »

Origine du mot « Rhin »

Le mot Rhin, dans sa forme la plus ancienne, est celtique : rhén ou plutôt hrén, et signifie eau, fleuve. Les Romains, tout en conservant le radical, y ont ajouté leur terminaison us et l’ont nommé Rhenus. Les Germains, à leur tour, l’ont transformé en hrin (de l’ancien haut-allemand hrinan, mugir), c’est-à-dire le fleuve mugissant, le torrent ; plus tard ils en firent rin, Rhein et dans le dialecte alémanique Rhîn. Rhin signifie donc le fleuve par excellence.

La divinité de l’eau

L’antiquité attribuait à l’eau une puissance merveilleuse. Elle proclamait les vertus purifiantes et salutaires de cet élément et va même jusqu’à le diviniser.

L’hindou se prosternait aux bords du Gange et y récitait ses prières.

La prospérité que le Nil répand sur l’Egypte a porté les anciens habitants de ce pays à l’adorer comme un dieu et à lui rendre un culte particulier. Ils l’ont surnommé le très-saint, le père, le conservateur du pays.

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Les Grecs avaient peuplé le monde d’une infinité de dieux, de demi-dieux, de génies et de héros. Poséidon, le frère de Zeus, possédait l’empire de la mer, et ses filles, les Naïades, celui des fleuves et des fontaines. En mettant l’élément humide sous la protection immédiate des divinités, les Grecs lui reconnaissaient des vertus surnaturelles. Ils croyaient non seulement puiser dans l’eau sacrée la santé, le génie et la science, mais encore y trouver l’expiation et la purification.
Les Grecs et les Romains personnifiaient leurs fleuves ; ils les représentaient souvent sous la figure de vieillards à longue barbe, le front ceint d’une couronne de roseaux, s’appuyant sur une urne d’où l’eau s’écoule.

Le culte de ces dieux était surtout très répandu parmi les Romains qui l’introduisirent dans les provinces conquises par eux, ou bien l’accommodèrent à leur système religieux, s’il y existait déjà.
Deux inscriptions latines attestent que les colonies romaines établies sur les bords du Rhin, adoraient ce fleuve comme divinité locale : « Au fleuve Rhin pour le salut de Quintus Sulpicius Carinus » et « À Jupiter très bon et très grand et au génie du Rhin, Claudius Marcellinus qui a accompli librement un vœu ».
L’empereur Domitien fit frapper l’image du Rhin sur sa monnaie d’or et d’argent : le fleuve était représenté sous la figure d’un vieillard, le bras droit appuyé sur son urne et tenant un roseau dans la main gauche.

Les Germains considéraient les fontaines et les fleuves comme des lieux sacrés, particulièrement favorisés des dieux. Le Rhin produisait sur les Germains un effet magique et ranimait le courage les combattants. Ce fleuve majestueux, sur les rivages duquel ils avaient remporté tant d’éclatantes victoires, était l’objet particulier de leur affection.

Les Celtes partageaient avec les Germains, les superstitions relatives à l’épreuve de l’eau du Rhin. Ils pensaient que l’onde sacrée de leur fleuve se montre favorable à l’innocence, hostile à l’impureté et vengeresse du crime.

Chez les Gaulois, le Rhin était l’objet d’un culte superstitieux auquel se rattachait un usage bizarre et cruel, précurseur de ces jugements de Dieu si fameux au Moyen Âge. C’était le Rhin qui éprouvait la fidélité des épouses : « Lorsqu’un mari, dont la femme était en couches, avait quelques raisons de douter de sa paternité, il prenait l’enfant nouveau-né, le plaçait sur une planche et l’exposait au courant du fleuve. La planche et son précieux fardeau surnageaient-ils librement, l’épreuve était réputée favorable, tous les soupçons s’évanouissaient, et le Gaulois retournait plein de joie et de confiance au foyer domestique. Si, au contraire, la planche commençait à s’enfoncer, l’illégitimité de l’enfant paraissait démontrée, et le père, devenu impitoyable, laissait s’engloutir un être dont l’existence le déshonorait. »
Si, conformément à l’idée païenne, l’époux soupçonneux somme le flot sacré et incorruptible de se faire juge de la vérité, l’idée chrétienne remet ce jugement à l’omniscience et à la justice de Dieu, créateur et maître de l’élément. Le jugement par l’eau a été démontré par l’arche de Noé, lorsque les innocents furent sauvés et les coupables punis !

Au Moyen Âge, on soumettait à l’épreuve de l’eau froide, les femmes dont la fidélité paraissait suspecte.
« Lorsqu’une femme est accusée d’amour (sic), elle entre pour se laver dans une source d’eau. Or, cette source est petite et ne monte que jusqu’au milieu de la jambe. On écrit le serment sur une tablette, on l’attache par une corde au cou de la femme ; si le serment est sincère, la source ne bouge pas ; s’il est faux, l’eau s’indigne et couvre ainsi la tablette ».

L’institution des bains et des ablutions dans les fleuves était très répandue par les chrétiens du Moyen Âge. Et ce qui atteste l’origine et la signification païenne, ce sont les fréquentes défenses dont ces pratiques furent l’objet de la part de l’Église.

Quelques légendes populaires

Ritza, la sainte fille de Louis le débonnaire, possédait la vertu de marcher sur les flots du Rhin sans en être engloutie. Appuyée sur son bâton, elle franchissait ainsi le fleuve tous les matins, pour faire ses prières à l’église de Saint-Castor, située sur le rivage opposé. Elle jouissait du don miraculeux aussi longtemps que sa piété restait sans tache, que sa foi se montrait inébranlable. Mais, à peine une idée mondaine, à peine un léger doute s’étaient-ils élevés dans son âme, que le fleuve inexorable se refusait à soutenir ses pas chancelants.

Cette légende rappelle le miracle de saint Pierre marchant sur les eaux du lac de Génésareth, et s’y enfonçant dès que la peur, trahissant ses doutes et son peu de foi, se fut emparée de son âme. Jésus, lui, n’était envahi par aucun doute et marchait sereinement sur l’eau.

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Le Rhin ne se contente pas d’abandonner à leur propre sort, les mortels dont l’âme n’est pas entièrement pure, il poursuit aussi les coupables de ses châtiments.

On racontait aussi que le génie du Rhin (der Rheingeist) se montrait parfois, à la tombée de la nuit, dans les jardins du château de Mannheim, qui s’étendaient le long des bords du fleuve. On représentait ce génie sous la figure d’un vieillard à longue barbe, et revêtu d’un manteau gris.

Un jour, dit une autre légende, le génie du Rhin, déguisé en vieillard, entra dans un des nombreux moulins établis sur le fleuve. Il demanda au garçon-meunier la permission de passer la nuit dans le moulin. Le garçon, frappé par l’aspect vénérable du vieillard, lui accorda volontiers l’hospitalité qu’il demandait et lui prépara un lit de roseau. Mais le maître du moulin, homme dur et sans pitié, étant survenu, ordonna à l’étranger fatigué de quitter à l’instant son moulin. Aussitôt le vieillard se dressa sur sa couche et s’adressa au meunier d’une voix menaçante : « Ingrat ! lui dit-il, tu refuses un misérable gîte à celui qui, par ses soins généreux, a permis que tu entasses richesses sur richesses ? Ton heure a sonné. » Et, à peine le génie irrité eut-il prononcé ces mots, qu’il disparut. Mais tout à coup les flots écumants du fleuve mugirent autour du moulin et engloutirent le moulin avec son maître. Une nacelle, guidée par des bras invisibles, conduisit au rivage le garçon-meunier compatissant.

legende-rheingeistLe génie du Rhin

Une légende badoise rapporte que les habitants du village de Wittenweiher, ayant embrassé la Réforme, renversèrent le crucifix en pierre qui se trouvait sur leur cimetière. Cependant, à leur grand étonnement, ils trouvèrent le lendemain le crucifix à son ancienne place. Ils le renversèrent une seconde fois, et y placèrent des gardes. Mais pendant que ceux-ci étaient plongés dans un profond sommeil, la croix reparut dans le cimetière. Ce miracle s’étant répété trois fois, les villageois iconoclastes chargèrent le crucifix sur une charrette et le jetèrent dans le Rhin. Le fleuve punit aussitôt ce sacrilège en emportant le rivage sur lequel était bâti Wittenweiher ; de sorte que ce village a dû être reconstruit à trois reprises différentes.

La tradition populaire donne aussi au fleuve sa naïade, ou plutôt sa sirène, connue sous le nom de Lurley (Lorelei).

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Après avoir quitté de riants paysages, le fleuve, au-dessous de Wesel, se trouve brusquement encaissé entre d’énormes rochers, de couleur noire et de formes bizarres. Ses flots purs et verdâtres prennent une teinte sombre et se brisent avec fracas contre les nombreux rochers qui s’opposent à leur passage. L’aspect triste et désert de ces rivages saisit l’âme d’un effroi involontaire.
Mais quels sont ces chants mélodieux qui tout à coup frappent votre oreille et vous remuent le cœur ? Quelle est cette femme d’une rare beauté, assise sur le rocher qui s’avance au-dessus de l’eau, occupée à peigner ses longs cheveux blonds ? C’est la sirène du Rhin, c’est la nixe Lurley, qui demande sa victime.
Malheur à vous, si vous vous laissez attirer par ses charmes ! Lorelei vous fascine de son regard enchanteur, pour vous livrer à une mort certaine au fond des flots.

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Une autre légende témoigne de la puissance mystérieuse que les Germains attribuaient à leur fleuve par excellence. C’est celle de ce fameux Nibelungenhort, de ces riches trésors qui, depuis des siècles, se trouvent entassés au fond du Rhin et qui sont confiés à la garde de son génie.
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Toutes ces légendes, dont nous pourrions facilement augmenter le nombre, ne sont que des fragments d’anciens mythes religieux, de souvenirs peut-être imparfaits et altérés depuis par l’imagination sans cesse créatrice du peuple. Mais ils ont leur point de départ et leur raison d’existence dans le culte de l’eau en général et dans celui du Rhin en particulier.

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Sources :

– Revue d’Alsace, volume 2, année 1851 – article d’Auguste Stoeber
– Légendes d’Alsace, Auguste Stoeber
– Wikipedia – le Rhin

Photos : wikipedia et « Contes et légendes du Rhin » de Claude Peitz

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